Loin de moi l’idée de faire ici un cours sur le fonctionnement du système carcéral suisse, mais cette récente expérience me semble pouvoir intéresser quelques personnes. En tant que suisse, blanc et sans soucis financiers, j’ai eu un bref aperçu de ce qui peut être infligé à d’autres personnes par notre système.

L’action n’étant pas le centre de ce billet, j’en parlerai brièvement à la fin.

# La détention

# L’arrestation

Quelques minutes après le début de l’action, la police municipale débarque sur le lieu et globalement ne fait rien. L’action s’étant déroulée rapidement, elle était terminée lors de l’arrivée des forces de l’ordre, leur job était donc uniquement de maintenir la sécurité en attendant la cantonale, et éventuellement de faire des relevés d’identité. C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai donné ma carte d’identité, il me semble, mais c’est un peu flou.

Bref, une fois la cantonale sur place, et après avoir attendu l’arrivée du supérieur, l’action est enfin terminée et nous sommes embarqué·e·s. Chacun·e dans sa propre voiture. À ce moment-là, je m’imagine partir pour un contrôle d’identité au poste et une relaxe quelques heures au plus tard après. Dans la voiture, je remarque que l’autoradio indique 12h37.

# Au poste de police

Arrivée au poste, on nous fait abandonner toutes nos affaires sauf short, t-shirt et chaussettes, et je suis mis dans une salle individuelle de petite taille avec un banc et une table. Régulièrement, un officier vient me voir pour me demander quelques informations et repart. On m’offre un morceau de pain blanc avec un verre d’eau pour patienter.
J’apprendrai plus tard que j’ai été chanceux, d’autres de mes camarades ne se sont pas vu proposer quoi que ce soit à manger.
Pour aller aux toilettes, il faut sonner et attendre qu’on vienne me chercher et qu’on m’accompagne dans ce qui ressemble à une cellule avec couchette et WC. Petit point amusant, le bouton de déclenchement de la chasse d’eau se trouve à l’extérieur de la cellule, c’est donc le policier qui doit se charger de l’actionner…

Aux alentours de 15h15 (de mémoire, c’est très flou), je signe les quelques documents qui me sont présentés. On m’informe que le commandant (je crois) a décidé de nous mettre à disposition du ministère public. Nous serons donc déplacé·e·s, quand, personne ne le sait, mais ça sera le cas. En attendant, on nous change de cellule pour nous faire attendre dans une similaire à celle dont je parlais avant avec les WC.

Le temps passe, nous n’avons aucune information ni aucun contact. Le personnel n’est, dans sa globalité, pas désagréable. Je n’ai jamais été violenté, je ne pense même pas avoir été touché jusqu’à maintenant. Dans cette situation, le temps est extrêmement difficile à suivre. J’essaie de passer le temps en sifflotant quelques airs motivants, par moment un·e de mes camarades enchaine avec un ou deux chants révolutionnaires.
C’est avec le sourire que je sors lorsqu’un policier vient me chercher pour me menotter, mains devant, pour le trajet. On m’aura redonné une de mes vestes au préalable, pour le trajet. Iels ont choisi la petite veste coupe vent, j’espère à haute voix que le transfert ne sera pas trop frigorifique… J’en profite pour brièvement échanger avec mes camarades.

# Le transfert

On se fait charger dans un camion de transfert, avec chacun son petit box bien serré. Aucune ceinture, j’en viens à espérer ne pas avoir d’accident, coincé dans une cage en métal peu molletonnée… J’entends deux de mes camarades discuter, j’apprendrai plus tard qu’iels étaient côte à côte, mais avec le bruit du moteur et de la circulation, je n’entends que des bribes de ce qui se raconte et je n’essaie donc pas de participer. Après quelques minutes de trajet sous une ventilation soufflant un air horriblement chaud, je me considère très chanceux d’avoir eu la veste froide. Je pense à mon camarade qui a eu droit à sa seule veste, une grosse doudoune…
Nous arrivons ensuite à destination. Les “transporteurs” parlent de quelque chose qui a coulé au milieu des sacs scellés contenant nos affaires, je n’en saurai pas plus.

On m’enlève à nouveau ma veste et on me dirige directement vers une cellule, plus petite, plus sale et beaucoup moins accueillante que les deux précédentes. Honnêtement, la cellule n’est pas si sale que ça. Les murs sont un peu tagués, la porte a vécu, les coins des murs sont mal nettoyés, les WC font moins propre que les cuvettes en inox du poste. C’est surtout le contraste avec les cellules précédentes toutes neuves et aseptisées qui fait cet effet.

# L’attente au ministère public

# La soirée

Je me fais la remarque qu’il n’y a aucun barreau, contrairement à l’idée que j’avais d’une cellule, tout est bien soigneusement fermé.
Durant cette longue attente, j’évalue la taille de ma cellule à peine plus de 3.5m², un carré de 1.9m de côté. Au fond de la pièce, un rebord en béton d’environ 80 cm avec un petit matelas dessus fait office de lit, il est plutôt confortable, étonnamment. Il me semble d’ailleurs que c’est le même que celui du poste de police, mais j’aurai d’avantage l’occasion de le tester ici. À gauche un WC turc séparé de l’entrée par un mur sur toute la hauteur. Cette fois, la chasse d’eau se trouve dans la cellule! Quelque 30 cm séparent la banquette de ce mur de séparation.

Au-dessus de la porte se trouve l’unique lumière de la pièce, d’un jaune plutôt dégueulasse, mais plus agréable qu’un blanc d’hôpital. La porte possède une “fenêtre” à hauteur de visage, obstrué par un clapet du côté de la liberté. Contrairement aux cellules du poste de police, qui possèdent des vitres sans-teint, ici on peut voir ce qui se passe lorsque le clapet est ouvert… Il y a également un passe-plats à hauteur de poignée.

Sur la porte se trouvent nombreuses gravures, des noms, des codes postaux, quelques insultes et d’autres messages plus positifs. Je me demande avec quoi elles ont été faites, qu’est-ce qui a pu rentrer ici pour permettre d’arracher de la peinture d’une porte en métal.

En entrant dans la cellule, on me confirme que ça sera pour la nuit de toute façon, et que le reste dépendra de l’organisation du procureur. S’il y a bien un truc que j’ai oublié de faire tant de fois, c’est de demander l’heure, impossible d’avoir une quelconque notion du temps qui passe dans cette situation. Je me rappelle ne pas avoir attendu trop longtemps avant qu’on vienne nous proposer un “repas”, c’est pâtes à la crème et pain, vu que je ne mange pas de produits laitiers, ça sera pain et pain, et un pain bien blanc, du genre qui tiendra bien au ventre pour une heure ou deux. Je ferai avec, et au final la faim ne sera pas vraiment un problème, ne rien faire a certainement aidé… Après la distribution, j’entends mon geôlier qui donne l’heure à un voisin, il est “huit heures, environ, enfin à peu près”, 20h50 après vérification de sa part. Le temps est passé assez rapidement, ce qui m’arrange. On me propose d’éteindre la lumière pour la nuit, j’accepte volontiers et essaie de dormir, en espérant que ça passe vite.
J’ai de la chance, j’apprendrai plus tard qu’un de mes camarades sera obligé de garder la lumière allumée toute la nuit.

# La nuit

Mon voisin de cellule semble avoir un problème dentaire, il demande à avoir un Dafalgan. Après vérification, le gardien lui dit qu’il en a déjà reçu un deux heures auparavant, donc qu’il lui faut attendre quatre heures avant le prochain. Il lui propose d’appeler un médecin, ce que mon voisin accepte. Quelques minutes plus tard, on vient lui confirmer la venue d’un médecin, mais pas avant trois-quatre heures, le service est débordé, ce qui nous pousse vers minuit ou une heure du matin. Il accepte de se faire réveiller pour ça quand le médecin sera là.

Après un moment de sommeil, je me réveille. Évidemment, aucun moyen de savoir quelle heure il est, j’ai l’impression d’avoir bien dormi, mais vu que ça dure depuis plus de 12 heures, j’ai des doutes. J’entends du bruit et des discussions dans la cellule du voisin, à ce moment je fais le lien avec le rendez-vous médical, j’en déduis donc qu’il est à peine passé minuit et qu’il faudra encore que je me force à dormir… Mais quelques minutes plus tard, on vient me demander si je veux la lumière, il est 8 h, je suis soulagé. On me propose un déjeuner, du pain blanc, et un café. J’arrive à faire remplacer le café par un thé, noir mais sucré, c’est plutôt agréable.

# La journée de mardi

Afin de faire passer le temps, vu que rien ne se passe, je demande à plusieurs reprises s’il est possible d’avoir un livre ou un journal, apparemment non. Je sens une volonté délibérée de nous faire attendre pour nous faire attendre. La compartimentation de l’information fonctionne bien:

  • au poste de police, on nous dit que le ministère public viendra nous chercher, mais iels ne savent pas quand;
  • au ministère public, on nous dit que le procureur nous appellera, mais iels ne savent pas quand.

Personne ne sait rien et répond donc honnêtement qu’iels n’ont pas d’information, et je les crois. Mais c’est extrêmement frustrant.

Je continue à ne rien faire, je sifflote des chants révolutionnaires quand cela me vient, j’essaie de déchiffrer les gravures de la porte. De temps en temps, je demande un verre d’eau, ça fait du bien et ça permet d’aller pisser. Ça peut paraitre anodin dit comme ça, mais pisser est une activité, et même si elle est courte, elle permet de voir le temps passer. Les gobelets en papier FSC certifiés 100 % recyclables ne sont jamais réutilisés, ni récupérés par les geôlier·e·s, j’en accumule donc quelques uns. Sur ces gobelets, une carte du monde (enfin d’une partie du monde, bien centrée sur l’Europe évidemment) est dessinée et remplie de texte, de mémoire “100 % recyclable compostable”. Sur le côté, en grosses lettres est marqué WARNING.CAN.BE.HOT, sachant qu’on dénonce l’inaction gouvernementale face au réchauffement climatique, je trouve cela cocasse. Je commence à torturer quelques gobelets en espérant en faire un bricolage, mais sans ciseaux ni colle, c’est très limité.

Pendant la matinée, on vient me chercher pour la prise d’empreintes, photos et ADN. C’est pas ce qui me motive le plus mais au moins je sors et je peux échanger brièvement avec quelqu’un. Il y a même un lavabo dans la salle technique, j’en profite, avec l’accord du personnel, pour me rincer les mains et avants-bras, c’est le premier contact avec de l’eau courante depuis mon arrestation, et le seul que j’aurai. Pas de savon pour me laver les mains, mais au moins j’ai l’impression d’être un peu moins dégueu.

“Rapidement”, on m’annonce le repas de midi, surprise, pâtes à la crème. C’est donc une nouvelle fois que je demande une double ration de pain blanc. Enfin, je l’ai pas demandé blanc ein. On m’apporte un pain et un gobelet, que je refuse donc instantanément, mais ça m’aura au moins permis de voir à quoi ressemblent les “pâtes à la crème”. Dans un gobelet de maximum 2dl, rempli à moitié, une espèce de soupe blanche dans laquelle flottent quelques cornettes, miam… À plusieurs reprises je demande s’il n’est pas possible d’avoir quelque chose de sain à manger, genre une pomme, mais apparemment rien d’autre n’entre ici.

J’avais espéré ne pas aller aux toilettes, mais en fait il faut s’y mettre. Du coup je demande du PQ. Ah oui, évidemment, on a pas le droit d’avoir un rouleau dans notre cellule, de peur qu’on se pende avec j’imagine. Mais on me laisse choisir le nombre de feuilles que je désire, quelle amabilité. Une fois le travail effectué, je demande à pouvoir me laver les mains avant de manger. On me répond que “normalement c’est pas possible”, mais on m’apporte deux gobelets, un d’eau savonneuse et l’autre d’eau claire pour me rincer…

Afin d’occuper mon après-midi, j’ai l’idée d’utiliser un carré de ma porte d’environ trente centimètres de côté complètement dépourvus de peinture. J’ai pas beaucoup de compétences artistiques, mais faut bien faire quelque chose. Je déchire des lamelles de papier toilettes et grâce à de l’eau, je les colle sur ce carré pour “dessiner” un joli coucher de soleil, ou un lever, c’est selon. Rien d’exceptionnel, mais ça m’occupe pendant un moment, peut-être une heure. Quand le papier sèche, il redevient blanc et reste plutôt bien collé sur la porte. Je retoucherai les morceaux qui ne tiennent pas pendant l’après-midi, mais au final j’espère que cela restera pour le prochain occupant. Je continue également à bricoler avec mes gobelets, j’arrive même à faire un petit personnage, encore une heure de passée.

Avant 14 h, en demandant une énième fois à boire, on m’indique que le procureur est en pause et reprendra le travail à 14 h.
Ah oui, j’ai essayé tout du long de créer des situations d’échange avec les personnes que je croisais, en général ça a été très unidirectionnel, mais ça fait passer le temps.
On m’informe également que je passerai de toute façon dans la journée, mais peut-être tard. C’est plutôt une bonne nouvelle. Je continue à m’occuper, à faire des siestes, à demander à boire. J’ai même l’outrecuidance de demander un autre thé, que l’on m’apporte à mon grand étonnement. Comme rien ne semble se passer, je redemande où on en est et là, la gardienne me dit qu’à priori ça sera bientôt à mon tour. Je suppose à ce moment-là qu’elle cherche à me rassurer, ce qu’elle nie.

Je suis ensuite amené devant de procureur, questionné sur des banalités (connaissez-vous le type de peinture utilisée et qui l’a achetée?), puis enfin libéré. Il est 17 h, mes affaires me sont rendues et on me raccompagne vers la sortie où m’attendent des amies. Je suis le troisième à sortir, on attendra encore quelques dizaines de minutes le dernier camarade en mangeant des fruits et du chocolat avant de rentrer. Au compteur, plus de 28 h d’incarcération. Quelle aventure…

# L’action

Avec un tiers des émissions, les bâtiments suisses sont la deuxième source la plus importante de CO2 en Suisse. Comme la réduction de ces émissions est réalisable avec la technologie actuelle et sans perte de qualité de vie, il est judicieux de commencer le tournant énergétique par là.

C’est pourquoi, ce lundi 20 novembre 2023, nous avons décidé de répandre de la peinture sur un bâtiment d’UBS, au centre-ville de Genève. Cette banque est l’un des plus grands détenteurs de biens immobiliers suisses, et a par conséquent une énorme responsabilité dans la rénovation de ses immeubles. Nous demandons à ce que le gouvernement mette en place un plan de rénovation de toutes les passoires thermiques. Au rythme actuel de rénovation de ces passoires, il nous faudra plus d’un siècle pour mettre tout le parc aux normes. Dans une situation d’urgence climatique, c’est inadmissible.

Les deux activistes collant des affiches sur le mur peinturé de l'UBS. Jean-Patrick Di Silvestro -- Le Courrier, 20 novembre 2023

Le but ici est de sensibiliser la population à la problématique à laquelle nous sommes exposé·e·s. Nous n’avons aucune volonté de destruction, la peinture utilisée était lavable à l’eau et a d’ailleurs “été nettoyée dans l’heure”.

Si tu estimes que la situation est trop grave pour qu’on attende patiemment une solution miracle, rejoins-nous !

# Conclusion

En homme blanc et plutôt bourgeois, j’ai conscience d’être privilégié.
Je n’ai passé que 28 h en détention. Lorsque les amendes tomberont, je pourrai les payer.
Je n’ai pris aucun plaisir, ni pendant l’action, ni pendant la détention. Mais tant que la situation ne s’améliorera pas, tant que nous ne ferons pas un énorme effort pour garder la planète vivable, je continuerai à m’engager.

Image de couverture par James-in-the-Shell